La recherche sur l’embryon humain est passée de l’interdiction absolue (1994) à celle de dérogations soumises à un moratoire (2004), puis pérennisées et élargie (2011). Finalement, en 2013, le régime est bouleversé pour l’autoriser sous conditions.

Ces lois adaptent le droit aux transgressions rendues possibles par la technique sans protéger l’embryon humain. Retour sur les différentes évolutions législatives et leurs conséquences.

En 2004, les premières dérogations au principe de l’interdiction…
  • La loi du 6 août 2004 a autorisé le don d’embryons congelés surnuméraires pour la recherche, avec l’assentiment des parents. Auparavant, les parents avaient seulement la possibilité de les transférer dans l’utérus maternel, de demander leur destruction ou de les donner à un autre couple. En contradiction avec le principe d’interdiction de recherche sur les embryons posé depuis les premières lois bioéthiques de 1994, une dérogation a été introduite dans cette loi pour une période de 5 ans, pour des recherches à visée thérapeutique et sans recherche alternative possible d’efficacité comparable.
…dérogations pérennisées et élargies en 2011…
  • La loi du 7 juillet 2011 a maintenu le principe d’interdiction de recherche sur l’embryon avec cependant l’élargissement des dérogations: sans limite de temps et dans un cadre plus large de recherche à visée « médicale », qui remplace la notion de « progrès thérapeutique majeur ».
  • Une clause de conscienceest reconnue à tout « chercheur, ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche, médecin ou auxiliaire médical » qui ne souhaite pas faire de recherche sur les embryons ou les cellules souches embryonnaires (article 53).
  • La loi prévoit également un encadrement pour le recueil des cellules souches issues de sang de cordon ombilical,pour inciter à son développement. Le choix retenu par la France est celui du recueil par des banques publiques allogéniques, c’est-à-dire pour une utilisation indifférenciée par les patients qui en ont besoin, sachant que le patient doit avoir une compatibilité immunitaire avec le donneur (article 19).
  • Dans un délai d’un anà compter de la publication de la loi, soit avant le 8 juillet 2012, le gouvernement devait remettre un rapport au Parlement sur les pistes de financement, notamment public, et de promotion de la recherche en France sur les cellules souches adultes et issues du cordon ombilical ainsi que sur les cellules souches pluripotentes induites (article 44).
  • Chaque année, l’Agence de la Biomédecine doit par ailleurs établir un rapport d’activité, rendu public, qu’elle adresse au Parlement, au Gouvernement et au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé. Ce rapport doit notamment comporter une « évaluation de l’état d’avancement des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, incluant un comparatif avec les recherches concernant les cellules souches adultes, les cellules pluripotentes induites et les cellules issues du sang de cordon, du cordon ombilical et du placenta, ainsi qu’un comparatif avec la recherche internationale» (article 50).
  • Enfin, toute réforme de cette loi doit être précédée d’un large débat publicsous forme d’états généraux. L’article 46 stipule en effet :

Le code de la santé publique est ainsi modifié : 1° Après l’article L. 1412-1, il est inséré un article L. 1412-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1412-1-1. − Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

A la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation » (…).

…dérogations qui se transforment en autorisations en 2013
  • En 2013, le régime est bouleversé.

Faisant fi de l’obligation d’organiser un débat public sous forme d’états généraux (pourtant prévu par l’article L. 1412-1-1 du Code de la santé publique), la loi du 6 août 2013 marque pour la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines le passage d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation sous conditions (article L2151-5 du Code de la santé publique).

  • Ce passage du régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation encadrée a constitué un bouleversement du droit français organisé autour de cet interdit fondateur :

« La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » (article 16 du Code civil).

La loi du 6 août 2013 a opéré un changement de paradigme inédit au terme duquel la protection de l’être humain est devenue une exception à la règle de sa non-protection.

  • Loin d’encadrer ce régime d’autorisation par des conditions strictes visant à contrôler la libéralisation de la recherche sur l’embryon, cette loi de 2013 a instauré des conditions qui, dans la pratique, sont inopérantes (cf. la condition de la finalité : « la recherche, le cas échéant à caractère fondamental, s’inscrit dans une finalité médicale».)

« I.-Aucune recherche sur l’embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d’un embryon humain ne peut être autorisé que si :

1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ;

2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s’inscrit dans une finalité médicale ;

3° En l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ;

4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. »

Par ailleurs « la recherche ne peut être menée qu’à partir d’embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l’objet d’un projet parental ».

« La recherche ne peut être effectuée qu’avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, par ailleurs dûment informés des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation. »